Le témoignage d’une famille Franco-Suisse

Nous sommes une famille Franco-Suisse et nous avons vécu le système scolaire suisse et français avec nos deux enfants maintenant devenus jeune adulte et grande ado. Notre fils est dyslexique et notre fille dyspraxique – multidys.

Quand Elias, notre aîné, 6 1/2 ans à l’époque, commence à montrer des difficultés dans l’apprentissage de la lecture, il est en 1ème primaire en Suisse.
Son instituteur nous convoque et nous dit qu’Elias manque d’implication sitôt qu’il faut lire et écrire, par contre il se montre très enthousiaste dès qu’il s’agit de mathématiques, de géométrie et d’exercices avec des volumes et des applications en 3 dimensions.
Nous nous rendons vite compte que quelque chose ne va pas. Il peine à lire le moindre petit mot même très simple. Les difficultés perdurent tout au long de l’année et en 2ème primaire nous décidons de consulter une logopédiste (équivalent d’une orthophoniste côté suisse) qui après 3 séances nous dit qu’Elias est simplement paresseux et qu’il ne pense qu’à jouer, par conséquent il s’agit selon elle d’un retard de maturité. Elle nous conseille d’être plus sévère avec lui et de le punir s’il se montre récalcitrant pour faire ses devoirs de français.
Nous essayons cette méthode pendant environ 1 mois mais les choses ne font qu’empirer et notre enfant développe des tocs.
Je me sens très démunie et décide d’en parler plus sérieusement avec son pédiatre qui me dit qu’il pourrait bien être dyslexique contrairement à ce que dit la logopédiste. Je stoppe immédiatement la méthode de cette dernière et suis mon intuition qui me pousse à la bienveillance et à rassurer mon fiston sur sa différence avec les autres qui devient de plus en plus grande. Nous consultons le service logopédique de l’hôpital des enfants de Genève et le médecin nous dit qu’il est un peu tôt pour poser un diagnostic relatif à la dyslexie. Nous prenons donc notre mal en patience et continuons la méthode douce à la maison.
L’instituteur a complètement démissionné et ne s’occupe plus du tout de lui.
Pendant les vacances d’été, nous déménageons côté français et en septembre, il entre en CE1.

Le début d’année se passe bien, l’institutrice est très impliquée, nous lui faisons part de notre expérience sur Genève et de notre inquiétude. Elle nous rassure, nous dit qu’elle se rend compte qu’il peine avec la lecture et l’écriture mais que ses très bonnes aptitudes en maths font qu’elle ne s’inquiète pas et qu’il faut attendre avant de consulter.

Arrive le passage en CE2 où les difficultés deviennent handicapantes. Nous décidons de voir une orthophoniste en France qui lui fait passer des tests approfondis. Le verdict tombe, Elias est dyslexique sévère.

Nous sentons un apaisement immédiat car enfin nous pouvons mettre un mot sur le problème. Elias se sent beaucoup mieux et développe de plus en plus ses compétences en maths où il excelle.

La rééducation commence et dès le début nous sentons que le contact n’est pas facile. Petit à petit l’orthophoniste se montre de plus en plus impatiente et les choses se détériorent. Elias refuse de retourner en séance et nous nous rendons compte (après espionnage audio) qu’elle est maltraitante, qu’elle humilie Elias en lui disant qu’il est vraiment déficient.
Nous stoppons la prise en charge et consultons une autre orthophoniste avec laquelle tout se passe bien. Les tocs disparaissent après quelques semaines.

À l’école le quotidien est compliqué car l’instituteur ne reconnaît pas l’existence même de la dyslexie. Il ne veut rien mettre en place considérant qu’Elias est doué en maths et que c’est déjà pas mal! Je décide donc de prendre les choses en main. Je fais moi même les aménagements. Je retape les photocopies, scanne les dessins et schémas, change les polices de caractère, rectifie les espacements, nettoie les traces de photocopies multiples, agrandis les documents pour qu’ils soient plus lisibles etc… Je trouve des exercices spécifiques pour les dys, achète des livres pour comprendre comment l’aider au quotidien et ça fonctionne. Le maître accepte finalement d’aménager les évaluations et comme par miracle, les notes en français prennent l’ascenseur.

La rentrée en 6ème au collège public se fait sereinement, les aménagements sont suivis par une formidable équipe éducative et Elias s’épanouit.
Ses notes sont excellentes, le français est un peu à la traine mais il s’en sort très honorablement. Les choses se passeront plus ou moins bien dans les classes suivantes dépendantes du bon vouloir des professeurs. Nous continuons les aménagements à la maison. Ses notes en sciences lui permettent de garder un bon niveau, non sans beaucoup de fatigue et de frustrations. Il passe son brevet et décroche une mention.

En cours de seconde, alors qu’il se destinait à une filière scientifique ( S.I. ), il fait le choix de se préparer à intégrer les arts décoratifs de Genève pour devenir bijoutier-joailler, il est maintenant en 3ème année et s’épanouit pleinement avec pour projet de se spécialiser en gemmologie et conception 3D.

Jasmine depuis toute petite est une enfant hypersensible, elle pleure énormément, ne supporte pas les changements de routine et présente des difficultés pour manipuler les objets ainsi que pour s’habiller.
Elle a 4 ans lorsqu’elle intègre en Suisse l’équivalent de la maternelle française. Elle aime aller à l’école mais est très perturbée lorsqu’il s’agit de se dépêcher pour s’habiller et pleure facilement lorsque l’institutrice la houspille à cause de sa lenteur.

En conséquence de notre déménagement en France, notre fille intègre directement le CP à la rentrée. En Suisse les enfants arrive en classe équivalente en sachant uniquement écrire leur nom en lettre capitale et l’écriture en cursive n’a pas encore été abordée.

Le CP se passe bien, elle est toujours très lente, écrit difficilement et en patte de mouche, ce qui n’alerte pas la maîtresse (nous non plus d’ailleurs) car elle est consciente de la différence de niveau entre la Suisse et la France au primaire. Jasmine n’est pas à l’aise avec les chiffres mais comme beaucoup d’enfants donc pas de raison de s’alerter.

Le passage en CE1 se fait sans encombre, elle est toujours aussi lente et malhabile mais les apprentissages se passent bien. La maîtresse commence à montrer des signes d’impatience lorsque Jasmine s’effondre en larme sitôt qu’ elle n’arrive pas à suivre le rythme des autres.

Elle commence à mal dormir la nuit, se réveille fatiguée (pourtant couchée à 19:30 /20:00 grand maximum).
Jasmine pleure de plus en plus souvent en rentrant de l’école et la maîtresse nous informe qu’elle constate des difficultés persistantes en écriture et en calcul.

Jasmine passe en CE2 et là les choses se compliquent. Elle ne parvient pas à suivre le rythme d’écriture comme les autres, elle ne finit jamais ses évaluations et doit rester à la récréation pour les terminer.
Le maître la gronde beaucoup car ses cahiers sont mal tenus, son écriture illisible et équivalent à celle d’un petit qui commence l’apprentissage. Elle se fait également beaucoup réprimander à cause de sa lenteur tout au long de la journée.

À la maison, les choses commencent à devenir très difficiles car Jasmine est épuisée malgré ses longues heures de sommeil (Nous sommes très vigilants en matière d’exposition aux écrans). Je décide de parler sérieusement avec la pédiatre (en Suisse) qui me conseille de consulter un ergothérapeute. Chose faite, nous faisons un bilan et Jasmine est dyspraxique. Elle doit passer par une batterie de tests qui révèlent qu’elle est à la limite de la précocité, à la limite du trouble attentionnel, dyscalculique et un peu dyslexique. Le ciel nous tombe sur la tête. La neuropsychologue me dit que ma fille ne sera jamais autonome, qu’elle ne pourra pas suivre une scolarité normale, bref que l’avenir n’est pas radieux et qu’il va falloir nous y habituer. Je m’effondre. Puis me reprends et refuse de baisser les bras.

Toutes ces informations sont très difficiles à faire accepter à notre entourage, proche et moins proche, l’équilibre familial est mis à mal. À l’école c’est une catastrophe. L’instituteur nous prend de haut et nous signifie que tout ceci est une invention. Nous organisons une réunion avec les intervenants qui s’occupent de Jasmine pour la rééducation. Rien n’y fait. La psychologue scolaire nous dit que tout le monde exagère. Les jugements fusent de toutes parts. Après constitution d’un dossier, Jasmine est très rapidement reconnue par la MDPH mais elle refuse l’équipement informatique qui l’angoisse énormément.

La bataille ne fait que commencer. Le CM1 est très difficile, le maître ne montre aucun signe de coopération. Je mets tous les aménagements en place à la maison, mais en vain car aucun suivi n’est prévu en classe. . Nous décidons de changer notre enfant d’école et elle entre en CM2 dans un autre établissement.

Nous sommes très angoissés à l’idée d’avoir à réexpliquer la situation à la nouvelle institutrice ainsi qu’à la direction.
Contre toute attente, tout se passe bien, la maîtresse nous dit qu’elle a tout de suite constaté que Jasmine avait des difficultés. Tout au long de l’année, elle a été prise en charge efficacement par sa nouvelle enseignante et comme par miracle, elle dort à nouveau normalement, se rend à l’école sereine et retrouve confiance en elle. Une année merveilleuse vraiment. Ses résultats sont excellents. Le bonheur. Jasmine refuse toujours l’ordinateur malgré le travail en amont de l’ergothérapeute.

Son passage au collège se passe correctement dans l’ensemble au gré de l’implication des équipes éducatives successives qui nous rendront parfois chèvre. Nous sommes consternés de voir à quel point le bon vouloir des professeurs est déterminant. Son unique professeure d’art plastique la met face à ses difficultés en graphisme et lui verbalise qu’elle n’est pas au niveau pour une jeune fille de son âge. Aucune prise de position claire de la direction à l’encontre des récalcitrants. Nous devons faire appel au médecin de l’académie qui confirmera que l’école ne fait pas son travail. Après création d’une association avec 2 autres mamans concernées par les troubles dys, nous tentons de mettre en place des ateliers, conférences avec intervenants-es renommé-es pour sensibiliser les professeurs à la nécessité de suivre régulièrement les aménagements prévus par les plans personnalisés (validés par la MDPH ou pas). La direction n’aura de cesse de nous mettre des bâtons dans les roues.
Jasmine passe néanmoins son brevet et décroche une mention.

Le passage en seconde se fait plutôt bien, Jasmine a de bons résultats. En novembre elle s’effondre. Elle ne veut plus se lever de son lit. Elle est dans un état hallucinant, nous n’avons rien vu venir. Nous avons pourtant tout mis en place avec le lycée. Nous prenons rendez-vous avec l’ensemble des professeurs et quel n’est pas notre effarement lorsque nous apprenons qu’aucun d’entre eux n’a eu connaissance d’un plan d’aménagement. La professeure principale (de français) ne s’est pas occupé du suivi.

Jasmine a tout donné sans nous alerter que les mises en place n’étaient pas faites. Nous contactons la direction, une inspectrice de la MDPH se joint à notre réunion, l’infirmière scolaire et la professeure principale sont là également.
La directrice montre très vite des signes d’agacement et explose au beau milieu de la séance après rappel à l’ordre de la MDPH. Elle quitte la salle en claquant la porte. Jasmine est en larme. Nous sommes choquées. (Nous apprendrons que la cheffe d’établissement a été mise en arrêt maladie pour dépression peu de temps après cet incident)

Nous mettons un suivi psychologique en place pour notre fille qui ne se remet pas de cet épisode. Elle fait un burnout scolaire accompagné d’une phobie. La pédiatre l’arrête pendant 2 mois. Elle se ressource peu à peu, nous faisons des activités qui l’aident à prendre du recul (visite de musées, théâtre, musique etc…) Elle voit ses ami-es et garde une vie sociale modérée.
Elle retourne en classe d’abord à mi-temps, puis nous demande de quitter le lycée à la rentrée pour mettre en place un autre projet d’orientation. Les professeurs nous contactent pour nous encourager à la convaincre de redoubler sa seconde et poursuivre sa scolarité à la lumière de ses résultats au 1er trimestre. Elle termine l’année mais ne veut plus entendre parler du lycée.

Jasmine souhaite devenir sage-femme et a intégré un cursus côté Suisse qui va lui permettre d’y parvenir.
Sa scolarité se passe très bien. En 2ème année, elle est heureuse d’avoir trouvé une structure avec laquelle elle se sent en phase.

Nous sommes toujours un peu traumatisés par nos expériences dans les 2 systèmes scolaires mais nous sommes heureux de voir nos enfants à présent épanouis et déterminés à réaliser leurs projets d’études. Nous avons la chance de pouvoir les scolariser dans un système post obligatoire plus adapté à leurs particularités.

Le maître mot: Ne pas baisser les bras!

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