Témoignage

Je suis née dans les années 80 en France, à une époque où la dyspraxie était inconnue du corps médical. 

Dès toute petite, mes parents avaient remarqué que quelque chose n’allait pas (je suis cadette, j’ai un frère aîné). 

Je prenais les obstacles de plein fouet, je n’avais aucun réflexe de m’écarter devant un caddie ou un quelconque danger. J’ai donc eu des lunettes dès mon plus jeune âge, mais mon défaut n’était pas que visuel.

Je me souviens d’une nuit où, voulant me relever pour chercher un mouchoir -je devais avoir environ 3 ans, peut-être un peu moins- je me suis levée hors du lit, j’ai atteint la porte de ma chambre, ai levé la main pour attraper la poignée, mais elle m’échappait. J’attrapais à côté de la poignée, mais j’étais persuadée que mon geste me permettait de l’attraper.

Ensuite, j’ai vécu un tas d’épisodes de cette nature. Mes verres étaient percés. En tous cas c’était la seule explication que je pouvais donner au fait que j’en renversais une partie sur la table. Mes raquettes aussi, d’ailleurs, étaient percées. Impossible de rattraper la moindre balle.

Je ne peux pas non plus faire de vélo -même aujourd’hui- je n’ai pratiquement pas d’équilibre.

Naturellement, ce genre de trouble n’est pas un facteur de sociabilité. Les adultes ne comprennent pas ce que l’on vit. J’ai donc eu droit à toute la panoplie des qualificatifs désobligeants (maladroite, gourde, deux mains gauches…fainéante, ce qui fait très mal, et le top du top « tu vois quand tu veux » alors pour arriver à un piètre résultat j’ai dû mobiliser un trésor d’énergie incommensurable).

Les enfants voient bien que quelque chose est anormal et, cruels de nature, pour certains, s’ingénient à vous torturer. Humiliations publiques, quolibets, etc, tout est bon dans la loi de la jungle. Les sports individuels m’étaient difficiles, les sports collectifs, totalement hors de portée. Je connais les bancs et les gradins par cœur.

J’ai eu beaucoup de mal à apprendre à faire mes lacets, plier un pull, faire une tresse. Mais j’ai pu y parvenir. Je souffre aussi d’une légère dyscalculie, mais à force d’efforts et de détermination, j’ai pu la surmonter (merci aux outils modernes de calcul) au point que j’exerce un métier dans la finance.

Je pensais, compte-tenu de mes différences, être condamnée à rester célibataire, et j’avais bien conscience que mon intégration dans la vie active serait très difficile (l’obtention du permis de conduire m’a demandé un effort surhumain, mais j’ai fini par l’obtenir après 69 heures de cours, je pourrai expliquer comment pour ceux que ça intéresse)

Finalement, au fur et à mesure que.le temps passe, on trouve des trucs et astuces pour cacher ses problèmes, les surmonter ou les contourner.

Aujourd’hui, je suis mariée, j’ai deux enfants formidables (le 2eme est probablement dyspraxique, mais sous une forme plus légère que moi, qui ai déjà une forme plus légère que mon papa, qui ne m’a jamais dit qu’il était dyspraxique car lui-même ne le savait pas).

J’ai pu faire des études très poussées -ceci étant ma dyspraxie touche essentiellement la motricité, l’équilibre, la focalisation du regard, mais pas l’apprentissage scolaire à proprement parler-.

 Je pense même que la dyspraxie m’a permis d’être meilleure que je ne l’aurais été à défaut, car elle m’a enseigné la ténacité, l’opiniâtreté, la patience. Et elle s’accompagne chez moi d’une mémoire photographique.

Je dirige une entreprise, et j’ai une vie sociale développée. Bien sûr, certains gestes me restent inaccessibles, mais je sais désormais qu’il y a mille façons de faire autrement.

 J’espère que mon témoignage donnera espoir aux parents d’enfants dyspraxiques (oui, le chemin est long, les combats sont douloureux et frustrants, mais en s’accrochant ils pourront y arriver) ainsi qu’aux enfants atteints de ce trouble (la dyspraxie n’est pas un défaut d’intelligence, on sait ce qu’on devrait faire, ce qu’on veut faire, et en prenant le temps, ou en faisant autrement, on peut y arriver).

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